Le fort succès de The Artist aura été aussi impressionnant qu’inattendu. Michel Hazanavicius, le réalisateur d’OSS 117, rafle depuis quelques temps avec son équipe une grande partie des récompenses cinématographiques dont 3 Golden-Globes, 7 BAFTA, 6 Césars et 5 Oscars. C’est surtout l’originalité du film qui triomphe puisqu’il est muet et en noir et blanc. Un pari très, très risqué qu’au départ aucun producteur ne voulait, jusqu’à ce que l'équipe soit sauvée par Thomas Langmann. Je ne vais pas faire un énième éloge sur ce film prestigieux, simplement vous dire qu’après un début assez déstabilisant, on se prend rapidement au jeu, et une fois qu’on y est, on se régale. Les acteurs sont excellents et arrivent à transmettre leurs émotions à travers leurs gestes très expressifs. Je ne partirai pas sans avoir mentionné le nom de Jean Dujardin dans son rôle de George Valentin joué à la perfection. Il s'agit du seul acteur français à avoir obtenu l’oscar du meilleur acteur à ce jour, c'est dire ! C’est une véritable performance d’arriver à maintenir l’attention du spectateur durant 1h40 pour un film, a priori, pas très attractif - je ne sais même pas si j'arriverai à vous maintenir cinq minutes sur cette critique - mais Michel Hazanavicius l’a fait !
Ludovic Bource est un vieil ami du réalisateur, c’est donc lui qui se charge de composer la musique de The Artist après « Mes Amis » et les deux « OSS 117 ». Et cette B.O. pourrait bien être la plus importante de sa carrière, car depuis quelques temps, la plupart des récompenses de musiques de films lui reviennent. Maintenant, c’est vrai que toutes ces récompenses ont un peu perdu de leur valeur avec le temps. Un compositeur, de préférence nouveau dans le métier, qui compose une musique peu commune pour un film à grand succès à toutes les chances de remporter l’Oscar de la meilleure musique de film : regardez The Social Network (2011), Slumdog Millionaire (2009), Babel (2006), Brokeback Mountain (2005)… Mais selon moi, le compositeur mérite amplement tous ces prix, car outre le fait que la composition soit originale, elle sied bien au film et demeure splendide à l’écoute seule. The Artist n’aurait sans doute jamais connu un tel succès sans sa musique ; quel que soit le scénario ou le talent des acteurs, on s’ennuierait ferme sans son. Pour une fois, la musique n’est plus en arrière-plan derrière les dialogues, elle a un rôle essentiel. Dans ce film, elle est un personnage à part entière !
Ludovic Bource s’en sort à la perfection, et se hisse à la hauteur des plus grands compositeurs de musique de film du cinéma de l'âge d'or hollywoodien tels Max Steiner ou Bernard Herrmann. Ces musiques qui aujourd’hui semblent démodées étaient pour l’époque relativement novatrices. En à peine 3 mois, Ludovic Bource a composé près de 1h40 de musique de film, en s’aidant de cinq orchestrateurs. Il fallait tout de même diriger les 80 musiciens (nombre important pour un film français) de l’orchestre philharmonique de Flandres.
La B.O. s’axe sur plusieurs thèmes : avant tout le très attendu thème principal que l’on entend sur 'The Artist Overture', mais aussi le thème de George Valentin dans la piste du même nom ou dans 'Fantaisie d’amour'. Soutenu par un xylophone sautillant, ce thème est léger et montre bien que ce personnage heureux n’a pas de soucis à se faire. Le thème de Peppy Miller dans 'Pretty Peppy' est joué par un violon enjoué soutenu par quelques flutes délicates faisant penser à des vieux films de Walt Disney. Cette première partie de l’album tourne autour de morceaux joyeux rappelant certaines musiques de Citizen Kane d’Herrmann ou les compositions de Charlie Chaplin. Mais on se laissera convaincre tout aussi facilement par les morceaux romantiques, comme 'Waltz for Peppy', ou dynamiques comme 'A Russian Affair'.
C’est surtout dans la deuxième partie que le score devient plus sérieux, et là, les musiques valent le détour. Dès 'In the Stairs' une lignée de violons bat la pulsation de manière pesante, et le thème gracieux de 'Waltz for Peppy' devient bizarrement morose. On appréciera de même le piano soliste et mélancolique de 'Comme une rosée de larmes'. Mais le morceau le plus triste est certainement 'My Suicide (Dedicated to 03.29.1967)' débutant dans la douleur avec une reprise du thème principal pour violons extrêmement émouvante. Vers le milieu, le morceau prend une tournure encore plus dramatique, alors que l’orchestre se joint au mouvement. Sans cette musique, la scène serait sans doute bien moins impressionnante.
Les morceaux les plus sombres sont eux aussi écrit à la perfection. A commencer par le sinistre 'The Sound Of Tears', mais surtout le cauchemardesque 'Ghost From The Past 'où les instruments qui partent dans tous les sens semblent totalement déboussolés. On reconnait à la fin l’influence d’Herrmann avec son ostinato pour violon rappelant quelque peu Vertigo pour Hitchcock. L’impressionnant 'L’ombre des flammes' retranscrit parfaitement la folie qui s’empare de George dans le film. D’abord discret, la tension monte crescendo jusqu’à ce que l’orchestre se déchaine brutalement. Les cuivres prennent leurs marques dans ce véritable tour de force marqué par de solides percussions. On peut retenir un nouveau motif de 9 notes répété inlassablement pour accentuer la crise de folie qui s’empare du personnage. Les violons virevoltent sur un tempo beaucoup plus rapide. Le morceau se finit en apothéose sur un magnifique retentissement de cuivres absolument remarquable qui exige d'être réécouté ! Cette deuxième partie est aussi composée de quelques morceaux plus paisibles comme 'Jungle Bar', 'Happy Ending…' ou 'Charming Blackmail', histoire de respirer un peu dans cette noirceur.
La piste qui a posé le plus de problème au compositeur reste quand même 'Peppy and George' pour la séquence des claquettes. Au départ, les acteurs ont dansé leur chorégraphie sur une musique déjà existante, puis Ludovic Bource a dû composer sa musique par-dessus et sur le même rythme. Ça devait pas être la joie pour les séances de mixages ! Et c’est ainsi que s’achève l’album de The Artist après 78 minutes de pur bonheur.
Pas de doute, Ludovic Bource a tenu son pari en composant un score symphonique de grande qualité dans un style qui nous replonge totalement dans l'époque, tout en étant très actuel. La musique s'insère parfaitement dans le film, elle en est en quelque sorte la colonne vertébrale, chose que les médias oublient parfois un peu trop. En sortant du cinéma, j’ai entendu un homme dire très distinctement : « La musique…est…TOP !!! », et c’est vrai que l’on ne peut que saluer le travail titanesque qu’a dû fournir Ludovic Bource sur cette B.O. qui révèle au grand jour un compositeur très prometteur, et à qui l'on souhaite une belle carrière. Je vous épargne le « chapeau l’artiste », mais par contre, vous croyez que Ludovic Bource aurait eu toutes ses récompenses s’il avait écrit la musique 60 ans plus tôt ?