Wywiad z Philippe Sarde

Projection dans la salle de l’ouverture du film ‘Coup de torchon’ (1981)

Philippe Sarde : Je pense que dès le début de ce film, le mélange entre le comique, le dérisoire et le noir m’a donné l’envie de moins nuancer la musique. J’avais pris de grands risques en décidant de mélanger des formes de musiques différentes, entre des percussions, des cordes et même un tango.

Stéphane Lerouge : Un tango ?

Philippe Sarde : Oui ! C’était un challenge, et moi ce qui m’amusais c’était ‘Bertrand’ qui disait, après avoir entendu à Londres, cette espèce de ce que vous venez d’entendre. C’était son « Fameux formidable » (rires) qui nous donnait l’envie de faire une prise en plus pour être encore meilleurs.

Stéphane Lerouge : Mais ‘Bertrand’, à une ou deux reprises dans des conférences, a eu l’idée qu’on regarde ces fameuses trois minutes d’ouverture de ‘Coup de torchon’, en mettant le spectateur dans ta position, simplement en coupant le son. Et ce qui est étonnant c’est que sans ta partition, cette séquence paraît beaucoup plus réaliste et presque appartenir à un film de ‘Jean Rouch’. Penses-tu que c’est toi, qui par la musique apporte la fiction ?

Philippe Sarde : Je pense que la musique c’est comme si c’était un documentaire de ‘Jean Rouch’ et je dis que de toute façon l’art était de placer le spectateur dans un film complètement délirant et donc le faire participer. C’est comme une ouverture d’opéra qui salue les gens à condition d’être surpris, intrigué et étonné par la musique, alors que le rideau est encore fermé. Et là, le rideau l'était presque et puis il va s’ouvrir sur un film extraordinaire. C’est pour moi un des plus beau et des plus apprécié de ‘Bertrand Tavernier’.

Stéphane Lerouge : Sur cette ouverture, complètement musicale (car il n’y a quasiment pas d’effet, ni de dialogue par la force des choses), ‘Bertrand’ disait après coup : « Finalement, plus je revois le film, plus je me rend compte que grâce à l’apport de ‘Philippe’ j’ai l’impression qu’on comprend sans le comprendre la folie en amorce du personnage qu’incarne ‘Philippe Noiret’ ».

Philippe Sarde : Oui, je voulais que les gens ressentent que pour accepter tout ce que ce personnage allait faire dans ce film et avoir peur qu’il aille plus loin encore ... et il va plus loin ! Il fallait donc que cette musique soit très importante pour aider à comprendre l’histoire et surtout ce qu’il allait faire dans cette histoire.

Projection dans la salle d’une séquence où ‘Bertrand Tavernier’ raconte sa collaboration avec ‘Philippe Sarde’.

Bertrand Tavernier : A partir du moment où vous donnez à ‘Sarde’ un cahier de charge qui l’épate, il ne va pas recycler ce qu’il a déjà fait dans d’autres films ni se reposer sur ses lauriers. Moi je sais que je pouvais l’épater quand je disais (par exemple) dans la décision 27 d'insérer un mélange d’instruments baroques, de rocks, de jazz et dessus, soit des rythmes interreligieux, soit des rythmes un peu à la ‘Nino Rota’. Alors là, il partait avec son imagination en récitant un cantique gallois, comme on l’entendait dans l’empire du soleil. Et cette partition est l’une des plus grandioses avec ‘Coup de torchon’ (applaudissements).

Stéphane Lerouge : Finalement il disait qu’il faisait une analogie entre toi et son premier chef opérateur ’Pierre William Glenn’. Il affirmait que vous appartenez à la même race de créateur, c’est-à-dire vous demandez des paris impossibles à relever. Pour toi, c’était qu’il te fournis quelque chose, qui à priori était infaisable pour que ta créativité, ton imagination commence à s’emballer.

Philippe Sarde : Oui ! Le musicien tombait dans les pommes (rires). Mais cela me semblait possible et il fallait que je fasse un petit tri dans ce film, parce que l’envie de ‘Bertrand’, sa boulimie de tout dire dans la vie était aussi dans la musique et je devais faire très attention pour ne pas le perdre dans ce dédale de ambe (littér : l'un et l'autre), parce que c’était vraiment impossible. Alors qu’en remettant en place tout ce qu’il me disait, j’arrivais à construire une sorte de citadelle qui tiendrait debout.

Stéphane Lerouge : Dans ‘Coup de torchon’, il existe une fin qui n’est pas celle du film. Une fin complètement baroque, métaphysique où on voit deux singes qui dansent sur la piste d’un bal Africain. Après coup ‘Bertrand’ s’est rendu compte que cette scène était raté. Il fallait en réinventer une autre mais pas tourner en Afrique. Et c’est toi qui a ressoudé la fin du film.

Philippe Sarde : Je lui ai dit : « Écoute Bertrand la fin ne va pas du tout, du tout … On est dans la merde ! (rires). On va essayer de ressortir la technique. Moi je vais musicalement la transformer et toi, tu monteras tes images dessus … Et tu m’enlèves ces deux singes-là (rires) ».

Stéphane Lerouge : Peut-être un hommage à 2001 ? (rires)

Philippe Sarde : Peut-être ! J’ai essayé d’être presque dur avec lui comme lui l’était avec moi et c’est vrai que j’avais écrit la fin de ‘Coup de torchon’ et il a monté des images sur cette musique. Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est que quelque part ‘Bertrand’ pensait que c’était ça la vrai fin.

Stéphane Lerouge : Pour ceux qui ne se souviennent plus, on voit quelques plans qui ont été privé de la séquence d’ouverture. On y voit ‘Noiret’ armé qui vise à blanc, sans tirer sur des enfants africains, avec le même thème musical, mais plus accentué.

Philippe Sarde : C’est ce qu’on appelle la variation musicale.

Stéphane Lerouge : Quand tu fais cela, tu es à la fois un scénariste musical plus un compositeur ?

Philippe Sarde : Quand on est complice avec des gens qu’on aime Il faut être très décidé, même si c’est difficile à faire. Il faut se dire « Bon ! Cela ne va pas, mais je vais te faire un truc qui va peut-être aller ». Et quand on le réalise et que ça marche, évidemment on est tous content (rires).

Stéphane Lerouge : ‘Bertrand’ disait aussi que tu adorais … et que tu adore toujours, des comédiens qu’on appelle les grands excentriques du cinéma français des années 1930, 40, 50, mais à un tels point que tu en es devenu un (rires). Il a rajouté : « Il y a quelque chose chez ‘Sarde’ qui m’évoque ‘Saturnin Fabre’ ou ‘Jules Berry’. Un jour et c’est une histoire qui hante ma mémoire. J’assiste à l’avant-première du film ‘Le bossu’, réalisé par ‘de Broca’, et dont ‘Philippe’ a écrit la musique. Et là, durant la projection, je fait quasiment un malaise vagal, parce que j’entends ‘La complainte de Bouvier’, une chanson originale du ‘Juge et l’assassin’ que ‘Philippe a exfiltré dans ‘le bossu’… la même musique … recyclage sauvage ! Avec un autre texte ! Là je vais appeler ‘Sarde’ parce que franchement c’est insupportable ! (rires) ». Après une semaine ‘Bertrand’ contacte ‘Sarde’ et dit « Bon ! Tout est en ordre ». Que s’est-il passé ?

Philippe Sarde : Quand il a débarqué chez moi, furax en disant « Tu as vu la musique de mon film dans un autre film », je lui ai répondu « t’as vu l’hommage ! » (rires).

Propos recueilli par FilmClassic

 



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