Wywiad z Pete Anthony

DE MAURICE JARRE à MICHAEL KAMEN

David-Emmanuel Thomas : Comment êtes-vous venu à la musique de film ?

Pete Anthony : J’ai étudié pour devenir compositeur, puis je me suis lancé dans des études supérieures à l’USC Thornton School of Music de Los Angeles où je me suis spécialisé dans la musique et la composition. Il y avait tout ce qu’il fallait savoir sur la musique de film ! En quelque sorte, c’est le parcours que je me suis choisi même si je n’envisageais rien de particulier à l’époque… Non seulement le programme me paraissait formidable mais il était aussi gratuit. Ma mère était médecin à la retraite et faisait partie de l’USC – pas la faculté de musique – alors je n’ai pas eu de frais de scolarité. Ainsi, j’ai pu apprendre le cinéma, la musique et l’enregistrement. Chaque projet était différent et nécessitait beaucoup de travail pour se préparer aux sessions d’enregistrement ; cette partie de la formation que j’appréciais le plus. Ensuite, je me suis lancé dans l’orchestration grâce à Patrick Russ, qui fut à la fois mon mentor et mon professeur. Je le connais depuis le milieu des années 80, nous avons étudié ensemble. C’est lui qui m’a appris comment exercer ce métier. Pendant plusieurs années, je l’ai assisté alors qu’il orchestrait pour Maurice Jarre, Elmer Bernstein ou encore Michael Kamen puis, j’ai commencé à travailler pour des compositeurs comme Dan Licht et Christopher Young… Qui enseigne aussi à l’USC ! On doit avoir fait probablement 40 ou 50 films ensemble. On l’appelle Chris.

Votre curriculum vitae est impressionnant ! Comment êtes-vous parvenu à travailler avec James Newton Howard, Danny Elfman ou encore Marc Shaiman ?

C’est Artie Kane, légendaire pianiste, compositeur et chef d’orchestre de Los Angeles, qui m’a recommandé à eux. Ce sont ses clients mais il était sur le point de prendre sa retraite, il a donc arrêté de prendre des appels pour s’y concentrer. Il m’a d’abord recommandé comme chef d’orchestre remplaçant auprès de Danny Elfman et Marc Shaiman puis comme chef d’orchestre auprès de James Newton Howard. Au final, j’ai orchestré pour les trois ! Danny avait déjà une équipe incroyable dirigée par Steve Bartek, alors que celle de Marc était menée par Jeff Atmajian. Lorsque j’ai commencé à travailler pour James Newton Howard, il était déjà entouré de Brad Dechter et Jeff Atmajian. Du jour au lendemain, j’ai décroché ces trois énormes clients et, en l’espace de deux ans, j’ai commencé à travailler régulièrement pour eux.

Comment décririez-vous l’art de l’orchestration et l’art de la direction musicale ?

Ce sont des métiers totalement différents mais l’un informe l’autre. Il n’est pas nécessaire d’étudier la direction d’orchestre pour être orchestrateur tout comme il n’est pas nécessaire d’étudier l’orchestration pour être chef d’orchestre. Toutefois, un bon orchestrateur est un meilleur chef d’orchestre et un bon chef d’orchestre est un meilleur orchestrateur. Nous sommes comme des architectes, ou plutôt comme l’assistant de l’architecte qui conçoit le plan du bâtiment. Le maître architecte, c’est le compositeur. Il a une vue d’ensemble, il est à l’écoute du client. C’est le maître conteur, comme James Newton Howard ! Notre rôle consiste à s’emparer de ses maquettes pour transposer ce qu’il a fait avec ses samples et ses synthétiseurs au véritable orchestre, exactement comme le compositeur l’aurait fait. Nous devons faire en sorte que l’orchestration sonne comme la démo qui a obtenu l’approbation de son client ; celle-là même qui nous donne une idée très complète de ce qu’il attend de l’orchestre. Ensuite, nous analysons les notes, nous écoutons ce qu’il a créé ou mélangé avant d’y ajouter des articulations, des dynamiques et des phrasés pour que ça ressemble à ce qu’il imagine. Bien sûr, il peut aussi nous demander occasionnellement d’y ajouter des bois ou de renforcer telle ou telle chose. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Christopher Young, il écrivait tout à la main afin que je puisse réaliser un croquis au crayon et matérialiser le tout en une partition complète, en considérant toujours l’idée du détail. Ainsi, lorsque je faisais référence à l’architecture, la construction, la réalisation d’un bâtiment, je voulais surtout insister sur le fait que l’architecte principal n’inclut pas tous les détails. Mais en tant qu’assistant architecte, nous devons ajouter chacun de ces détails comme le type de boulons à utiliser, les dimensions exactes des fondations, la façon dont les murs sont construits, etc. Toutes ces choses, tous ces détails que nous incluons dans une partition permettent à un groupe de musiciens de la lire, de la jouer et de la faire sonner. La finalité est qu’elle sonne parfaitement la première fois qu’ils la jouent. C’est impossible à réaliser, mais c’est notre objectif ! Dans l’art de diriger des sessions d’enregistrement, on joue plutôt le rôle d’un professeur. Il faut s’assurer que tout le monde a les compétences requises, les informations nécessaires pour mener le travail à bien – je parle des musiciens, mais aussi de l’ingénieur du son, du compositeur et de ses assistants. Si le réalisateur décide d’un changement, le chef d’orchestre se doit d’aider le compositeur. Ce n’est pas la même chose qu’un chef d’orchestre classique qui dirige la Symphonie N°9 de Mahler ! Dans la musique de film, la vision du compositeur prime sur la sienne. Or, dans le monde du concert, la vision que tout le monde essaie d’atteindre est celle du directeur musical ou du chef d’orchestre. Il y a un changement de paradigme qui doit se produire pour les chefs d’orchestres : s’ils viennent du monde classique, ils doivent comprendre que leur vision n’est pas concernée et que seule la vision du compositeur importe !


L’EMPREINTE MUSICALE DE JAMES NEWTON HOWARD

Depuis près de trois décennies, vous œuvrez aux côtés du légendaire James Newton Howard, du Sixième Sens à Jungle Cruise en passant par le King Kong de Peter Jackson, Maléfique et les deux premiers volets des Animaux Fantastiques. Comment décririez-vous son empreinte musicale ? Comment l’avez-vous aidé à façonner cette « signature » ?

James est un mélange intéressant de formation classique et d’une grande expérience de la musique populaire. En tant que producteur et collaborateur d’autres types d’artistes, James est passé maître dans l’art de travailler avec les gens et de les convaincre ou, devrais-je dire, de les aider à s’organiser et à marcher dans la même direction créative. Alors, comment pouvons-nous aider, James ? Eh bien, en fait, ce que James nous dit de faire, c’est de prendre ses démos, qui sont très complètes, et de nous assurer que nous avons suffisamment de connaissances sur l’orchestre pour obtenir la même qualité audio que dans la démo qu’il nous a fournie. James fait probablement les démos les plus poussées que j’ai jamais entendues alors c’est parfois un défi de s’assurer d’y parvenir ! Mais en général, si vous avez un grand orchestre et une belle salle, ce qui compte c’est la profondeur et le contenu émotionnel de vrais musiciens exprimant leur intelligence musicale collective sur une nouvelle création musicale. Lorsque de vraies personnes injectent leur expérience, leur cœur et leur âme dans une performance, la magie ne peut qu’opérer ! Ce que vous obtenez est plus grand que la somme des parties parce que toute cette interaction humaine imprègne sa musique. Il y a une vraie profondeur de sens car une musique jouée par de vrais musiciens est difficile à obtenir à partir de samples manipulés par une seule personne. C’est pourquoi James préfère travailler avec des ensembles de grands musiciens, je pense que c’est pour avoir une profondeur émotionnelle. D’un point de vue plus technique, en langage « sonique », vous percevez aussi une profondeur dans le champ sonore lorsque vous enregistrez un orchestre dans une salle comme Abbey Road. Même si vous regardez un écran, vous pouvez ressentir cet espace, ce n’est pas une simple surface plane que vous entendez. Ainsi, la musique enregistrée avec un orchestre ne rentre pas en conflit avec le son qui se produit au niveau de l’écran – les dialogues, les effets sonores, etc – et parvient à se manifester en arrière-plan.

Sur La Mission, James Newton Howard convoque une pléiade d’instruments anciens comme la viole de gambe, le violoncelle d’amore ou les violons fiddle qui lui confère ce cachet authentique. Est-ce la raison pour laquelle trois autres orchestrateurs (Jeff Atmajian, Jon Kull et Philip Klein) partagent les crédits avec vous ?

Il faut toujours une équipe pour réaliser les orchestrations parce qu’il y a beaucoup de contenu musical dans ce genre de films et que James s’arrange toujours pour s’impliquer en préproduction. Nous avons fait des centaines de projets ensemble, nous avons une équipe de musiciens extraordinaires alors, nous sommes capables de partager beaucoup de choses, de comprendre le son et la palette que nous recherchons. La Mission est un cas intéressant parce qu’il est arrivé pendant la pandémie lorsque les recording sessions étaient très limitées. En raison des restrictions liées au COVID-19, on ne pouvait pas voyager mais on a quand même enregistré aux studios d’Abbey Road à Londres. James était dans un studio relié à distance et on écoutait ce qu’il devait nous dire. En revanche, je ne sais même pas où était le réalisateur ! Paul Greengrass était peut-être à Londres également, ou ailleurs qui sait ? Plus personne ne sait où se trouvent les gens actuellement ! Il faudrait donc en demander la véritable raison à James lui-même ! Mais je pense qu’une partie de ce qu’il a fait était restreinte par les protocoles sanitaires et les outils mis à sa disposition, d’où la taille de l’ensemble de musiciens. James a créé une sorte de véhicule intérieur et émotionnel principalement à travers ce petit ensemble de cordes, y compris ces instruments de la Renaissance – comme vous les avez mentionnés – auquel nous avons ajouté un orchestre à cordes de 40 musiciens. Nous ne pouvions pas en mobiliser davantage à cause des protocoles sanitaires qui imposaient une distance physique entre les joueurs… Cet orchestre à cordes enveloppe et embrasse le petit groupe d’instruments anciens, soutenus par des bois et des cuivres pour les grands moments. De son côté, il se charge d’y associer quelques guitares et percussions alors que nous, nous ajoutons seulement les instruments enregistrés comme un ensemble. Pour résumé, je dirai que le film exigeait ce petit ensemble instrumental mais que James devait également s’adapter à ce qu’il avait à sa disposition. Dans tous les cas, ça a eu un énorme succès !

En quoi l’orchestration de ces anciens instruments diffère-t-elle de celle des instruments plus modernes ?

Ces instruments sont accordés différemment. Par rapport au véritable orchestre, ils apparaissent complètement désaccordés alors nous avons dû les mettre au diapason. De même, les cordes sont parfois différentes de ce que nous considérons comme des instruments à cordes traditionnels, ou devrais-je dire des instruments à cordes modernes. N’oubliez pas que certains de ces instruments anciens ont deux voire trois cents ans ! Donc oui, c’est différent. D’un autre côté, les poids relatifs changent, ils ont tendance à être plus doux, à avoir moins de volume. Ça fait partie de la beauté de ces instruments ! Pensez à ceux qui n’ont pas de cordes d’acier mais de vraies cordes, ils sont plus doux et plus délicats, ils ont un son spécifique, poussiéreux. James est un maître dans l’art d’assimiler et d’assortir les couleurs à la scène pour raconter l’histoire. C’est lui qui a dicté tout ça et c’est brillant !

Avez-vous contribué d’une quelconque manière à créer cette « musique brisée » qui caractérise la partition de La Mission ?

Seul James a fait ces choix. Il a choisi ces instruments parce que la couleur et le timbre étaient efficaces pour soutenir les visuels. Comme je l’ai dit, James est un grand conteur. C’est un coloriste qui peut comprendre les couleurs et savoir que cet ensemble d’instruments ancien va fonctionner avec le film. Il a écrit des chansons toute sa vie, il a reçu une formation orchestrale mais il est toujours en train d’étudier et d’apprendre. James est donc une combinaison unique de toutes ces compétences. Il y a très peu d’autres compositeurs dotés d’une expérience aussi vaste !

Sur La Mission, vous êtes en charge de l’orchestration tandis que Gavin Greenaway assure la direction musicale. A contrario, sur Raya et Le Dernier Dragon, vous portez la double casquette d’orchestrateur et de chef d’orchestre. Est-ce préférable pour vous d’occuper ces deux postes à la fois ?

Je pense que le fait de combiner les deux postes me permet d’aller plus vite ! Généralement, cela m’aide mais je n’y suis pas obligé. C’est juste une façon différente de travailler qui peut être d’autant plus efficace en fonction de la personne avec qui je travaille. C’est le cas avec James : il est particulièrement expérimenté en ce qui concerne les sessions d’enregistrements et notre communication est fluide, sûrement grâce à notre longue collaboration. A vrai dire, tous les autres orchestrateurs – Jeff, John et Phil – et moi-même avons cette connexion immédiate avec lui, cette capacité de lire dans ses pensées et de comprendre ce qu’il veut. En ce qui concerne Gavin, c’est un musicien fabuleux et un grand orchestrateur ! Il comprend vos orchestrations en un rien de temps, ce qui renforce notre efficacité.

METTRE EN MUSIQUE RAYA ET LE DERNIER DRAGON

Le score de Raya et Le Dernier Dragon fait intervenir une abondance de chœurs ethniques et d’éléments électroniques. Comment travaillez-vous avec ça ?

Pour ce film, James s’est beaucoup appuyé sur le lieu de l’histoire qui n’est pourtant pas spécifique. On y retrouve des influences asiatiques et du Pacifique Sud mais c’est surtout un monde fantastique. Je ne suis pas musicologue alors j’espère que personne ne sera offensé par le fait que je résume ces choses telles que je les comprends… Il a donc choisi une palette musicale basée sur la musique de ces cultures tout en incluant des sonorités plus occidentales avec ces bois et ces percussions survoltés qui évoquent ce monde fantastique. Mais il a aussi écrit de la musique orchestrale plus traditionnelle avec des violons aux influences classiques qui s’additionnent aux sonorités ethniques. Encore une fois, je ne suis pas à l’origine de ses choix, je devais juste savoir à quel moment il comptait utiliser ces instruments très variés. Tout ce qu’il a programmé, tous les samples électroniques qu’il a enregistrés se retrouvent dans le score : rien n’a été retouché à l’exception des chœurs que nous avons remplacés par de vrais chanteurs. Son intention était de créer une signature et une couleur spécifiques à cet environnement visuel, de la même manière que La Mission se déroulait dans l’Ouest américain poussiéreux de l’époque. A partir de cette ambiance d’île polynésienne/indonésienne, je pense qu’il a bâti le monde sonore correspondant parfaitement à l’univers de Raya et Le Dernier Dragon. James est unique, c’est un grand compositeur de musique de film !

Est-ce qu’un film d’animation comme Raya et Le Dernier Dragon représente un défi créatif particulier pour vous ?

Sur les projets d’animation, les choses sont fixées à l’avance pour des raisons liées à la production. En d’autres termes : ils ne changent pas le film à cause des outils qu’ils utilisent. Quand je parle de « changer », je veux dire modifier l’action ou la séquence des scènes. Ils ont donc tendance à avoir un film « fixe » qu’ils complètent au fur et à mesure en ajoutant toute l’animation qui lui donne vie. Même si nous travaillons sur des images « verrouillées », je dirais que ça ne change pas grand-chose par rapport aux défis créatifs. Au moment où [ces images nous sont parvenues], très peu de questions ont été posées car tout le monde avançait dans la même direction. Ce projet s’est déroulé en douceur – à l’image des cinéastes – et nous avons adoré ce que James a composé ! Notre rôle n’était pourtant pas facile dans la mesure où nous avons dû fournir une grande quantité de musiques en un laps de temps, mais c’était très limpide. De plus, nous avons eu le privilège d’enregistrer à Los Angeles, aux studios Sony, sur la célèbre scène qui a accueilli la recording session de la BO du Magicien d’Oz ! C’était ce qu’on appelle une « production heureuse » !

Justement, quel a été le plus grand challenge de votre carrière ?

Par défi, j’entends le volume de travail, la qualité requise et le souci du détail… Alors je dirai que le travail le plus difficile que j’ai dû accomplir fut probablement pour James Newton Howard sur Casse-Noisette et Les Quatre Royaumes. Nous travaillons toujours avec de grands orchestres mais Gustavo Dudamel était de la partie, il le dirigeait, et c’était impressionnant. Et puis, il y avait aussi beaucoup de minutes de musiques à produire, c’était difficile. Mais surtout, le score contient beaucoup de Tchaïkovski. Forcément, la barre est haute ! Je me disais : « il faut que ce soit aussi bon que Tchaïkovski ». Ce fut un immense challenge !

D’un autre côté, vous aviez cité Signes de Shyamalan comme l’un de vos meilleurs souvenirs…

Oui, c’est vrai, c’était juste magique ! Pour moi, la carrière de James est synonyme de moments magiques et Signes appartient à l’un d’entre eux. La narration, le décor, la signature colorée que James a créée, ne serait-ce que pour le générique du début… Rien ne s’est encore passé, il n’y a que les crédits, et pourtant, la musique est incroyablement excitante, elle raconte déjà une histoire tout en annonçant que l’on ferait mieux de s’accrocher ! A travers le film, elle a eu de la place pour se développer, je trouve ça génial. Et j’imagine que cette merveilleuse collaboration avec M. Night Shyamalan fut un point culminant pour sa carrière !

Sur quels films vous retrouvera t’on prochainement ?

Je ne sais même plus ce que j’ai fait… Laissez-moi réfléchir… Nous avons terminé Jungle Cruise pendant la pandémie, Tous En Scène 2 avec Joby Talbot – un merveilleux compositeur qui fait aussi des œuvres de concert, des ballets, des opéras et des pièces chorales – puis Venom : Let There Be Carnage [musique de Marco Beltrami, ndlr].

*Propos recueillis par Zoom le 11/03/2021
Remerciements : Pete Anthony pour son extrême gentillesse et sa disponibilité

(Cet article a été publié sur Gone Hollywood mais il est bien de moi ;-)

David-Emmanuel – Le BOvore

 



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