La volonté de Steven Spielberg de réaliser une adaptation des aventures de Tintin est relativement ancienne. Elle date plus précisément de 1981, époque de la sortie des Aventuriers de l'Arche Perdue (premier volet de la saga Indiana Jones) que des critiques cinéma avaient rapproché du célèbre globe-trotter (ambiance, décors, costumes).
Intrigué, le réalisateur commande quelques albums en Français (alors même qu'il ne le lit pas) et tombe amoureux des dessins de Hergé. Il prend alors rapidement contact avec ce dernier qui voit en lui le seul réalisateur à même de mener à bien une adaptation cinématographique digne de ce nom, déçu qu'il était par les tentatives précédentes. Steven Spielberg a le feu vert. Mais les circonstances feront que le projet sera relayé au placard pendant presque trente ans. Il y a bien eu des négociations et des rumeurs, des noms ont filtré comme Jean-Pierre Jeunet ou Roman Polanski (!), en vain.
Finalement, c'est avec Peter Jackson, cinéaste auréolé de gloire après sa dantesque trilogie adaptée du Seigneur des Anneaux et son remake de King Kong, que Steven Spielberg se remet au projet Tintin. Surtout, le développement de la technique dite de motion capture (qui permet de capter les mouvements d'un acteur pour modifier numériquement son aspect physique), expérimentée avec succès pour le personnage de Gollum et popularisée par le Avatar de James Cameron en 2009, redonne espoir au célèbre réalisateur qui, depuis plusieurs années, s'interrogeait sur le design de son adaptation : comment concilier cinéma et le procédé de dessin dit de la 'ligne claire' instaurée par le regretté Hergé ? Cela semble dorénavant tout trouvé avec la 'MoCap' qui permet de respecter la patte du dessinateur (les gros nez, les couleurs) en conférant à l'ensemble un aspect photoréaliste (le grain de peau, les yeux, les cheveux) magnifié par la réalisation souvent irréprochable de Steven Spielberg. Bien sûr, ce dernier s'entoure de ses collaborateurs habituels, dont l'incontournable John Williams, qui signe la musique de ses films depuis 1974.
Qu'en est-il du résultat final ?
Pour le film, le bilan est d'une certaine manière plutôt mitigé, du moins dans l'accueil que le public a réservé à ce qui était sans doute une des grosses sorties cinéma de l'année 2011. Si on loue les qualités artistiques du film, d'une beauté visuelle renversante, les puristes pointeront du doigt un scénario maladroit (surtout dans sa deuxième partie) alors même que tout respire la volonté de bien faire. Ce Tintin reste, dans tous les cas, une oeuvre fidèle à l'esprit de Hergé jusqu'au bout des ongles (l'esprit n'implique pas l'histoire), un grand huit spectaculaire, un spectacle effréné multipliant les morceaux de bravoure à une vitesse ahurissante en même temps qu'elle est particulièrement respectueuse des personnages (mention spéciale à Tintin et Haddock bien sûr, brillamment interprétés par Jamie Bell et Andy Serkis).
C'est un peu comme si la boucle était bouclée : si Indiana Jones rendait en son temps un hommage initialement involontaire à Tintin, hommage qui s'est progressivement appuyé avec les années (les relations qu'entretiennent Indiana Jones avec son père dans La Dernière Croisade puis avec son fils dans Le Royaume du Crâne de Cristal ne sont pas sans évoquer légèrement celles de Tintin/Haddock), à n'en point douter que c'est maintenant Tintin qui rend hommage au célèbre aventurier.
Et c'est avec tous ces éléments en tête qu'il faut aborder le travail de John Williams sur le film de Steven Spielberg. L'alchimie entre les deux hommes est telle que les propos que l'on peut tenir sur le travail de l'un sont valables également pour l'autre. John Williams compose là une de ses partitions les plus réjouissantes depuis Harry Potter and the prisoner of Azkaban (2004) et Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull (2008). Une B.O. un peu 'old school' qui fait directement écho à ce qu'il a fait de meilleur dans les années 90 en terme d'action-aventure.
Renouant avec une approche thématique qui lui est chère et qu'il avait quelque peu délaissée au début des années 2000 (à l'exception des trois Harry Potter et de la prélogie Star Wars), le maestro délivre tout ce qui fait le charme d'une B.O. 'williamsienne' avec, en tête de liste, la pratique qui consiste à attribuer un motif musical pour chaque personnage et/ou élément important du film. Tintin, Milou, Haddock, les Dupondt, les méchants, François de Haddoque, la Licorne et ses parchemins... Tout ce petit monde a son petit air qui reste en tête et qu'il est possible de siffler dès que l'on a achevé l'écoute de l'album. Une véritable marque de fabrique du compositeur, tout simplement. Aussi, lire des critiques cinéma faisant état d'une B.O. décevante de laquelle ne se dégage aucun thème musical marquant sonne presque comme une injure.
Le CD s'ouvre sur la piste sobrement intitulée 'The Adventures Of Tintin' pour un générique d'ouverture rétro et jazzy qui donne lieu à un court-métrage animé en ombres chinoises évoquant furieusement celui du film Arrête-moi si tu peux (2002). Très rapidement et très subtilement, John Williams introduit le thème de Tintin au clavecin entre 0:34 et 0:38, et use des mêmes instruments pour ce morceau que pour le délirant 'The Knight Bus' (la scène du Magicobus) de l'album Harry Potter and the prisoner of Azkaban. D'emblée, le compositeur a instauré l'ambiance musicale fantasmée de l'Europe des années 40, à grand renfort d'accordéons et de trompettes, ambiance qui se prolongera dans le film (mais non dans l'album hélas) sur un petit air plein de charme et de nostalgie pour la scène où Milou surprend le pickpocket faire les poches des badauds durant le marché aux puces pendant que son maître se fait caricaturer par un artiste de rue à l'accent belge qui n'est autre que Hergé lui-même.
L'ouverture est osée et s'impose pourtant avec une logique implacable. Tintin n'est pas un héros américain. Il n'a pas de pouvoirs particuliers, n'est pas musclé ou beau. Tintin n'est pas le sexy Indiana Jones. Il n'a donc pas droit à un thème héroïque et grandiloquent, seulement à un 'petit' motif au premier abord discret, naïf et espiègle, à l'image d'un jeune homme certes candide mais confiant, confiance qui est bel et bien présente dans ce thème. Celui-ci ne bénéficie peut-être d'aucune piste dédiée mais il est là. Un thème qui est véritablement représentatif de l'essence même du personnage : on parle beaucoup de ses aventures mais on ne parle ni de lui ni de son passé. Ce n'est pas un hasard si tout ce qui se rapporte à lui s'appelle le plus souvent 'les aventures de Tintin' et non 'Tintin'. Ce qui compte ? Ce qu'il vit. Après tout, personne ne connaît ni son âge ni sa date de naissance. Tintin reste un mystère assez passionnant qui a fait couler beaucoup d'encre, et une décision de justice avait même sanctionné une pièce de théâtre qui tentait de narrer les origines du héros et ses relations avec ses parents (!).
Pour toutes ces multiples raisons, John Williams a adopté un motif passe-partout qu'il utilise à de nombreuses reprises et toujours avec une interprétation différente : ludique, feutrée, glorieuse, victorieuse... En cela, rien que pour cet élément, la B.O. de Tintin constitue une réussite indéniable mais nécessite, pour être considérée comme telle, de se pencher sur toutes les subtilités du CD. Une envie que l'auteur de ces lignes espère bien vous donner une fois que vous aurez achevé votre lecture !
Contrairement au thème de Tintin, la plupart des personnages et éléments du film ont droit à leurs thèmes respectifs dans des pistes dédiées, la plus évidente étant le Snowy's Theme (Milou s'appelle Snowy en Anglais, en référence à sa couleur neige ; notons que l'origine de ce nom proviendrait du surnom d'une certaine Marie-Louise, une amie d'enfance de Hergé) : un air vif, léger, velouté et enjoué aux piano, cordes et vents pour l'éternel compagnon de Tintin. Loin d'être un simple animal de compagnie, Milou est une personne à part entière dans le film. Il ne s'exprime pas par la parole mais comprend les choses beaucoup plus vite que son maître. Aussi, l'intrigue progresse souvent grâce à lui (il trouve le premier parchemin, il fait boire Haddock pour connaître l'histoire de la Licorne) et John Williams a parfaitement su retranscrire le caractère malicieux du valeureux chien qui reste cependant esclave de sa nature de canidé qui le pousse à courser les chats et à préférer s'attaquer aux sandwichs plutôt qu'assister son maître dans le besoin.
En tant que personnage principal, Milou bénéficie donc de beaucoup de scènes à lui, chacun de ses exploits et frasques étant accompagné par son leitmotiv. Sa scène emblématique est d'ailleurs sa course-poursuite pour rattraper les ravisseurs de Tintin qui vient d'être kidnappé. Le compositeur illustre l'urgence de la situation avec une interprétation plus dramatique et vive que jamais dans la deuxième partie de la quatrième piste du CD, 'Introducing the Thompsons and Snowy's Chase'.
Enfin, dernier thème particulièrement important (mais loin d'être le dernier du CD), celui du capitaine Haddock, objet principal de la huitième piste, 'Captain Haddock Takes The Oars'. Un vrai motif de vieux loup de mer qui semble 'sorti tout droit d'une bouteille de rhum'. Et pour cause, difficile à l'oreille de ne pas déceler le penchant alcoolique du personnage tant le motif musical qui lui est consacré évoque directement la boisson ! Mention spéciale au morceau 'The Flight To Bagghar', complètement fou et délirant, et sur lequel toute impasse est impossible !
Il serait possible de s'étendre plus largement sur tous les thèmes de l'album comme celui des Dupondt qui souligne l'incompétence des deux policiers (entendu dans 'Introducing the Thompsons and Snowy's Chase' et 'Capturing Mr. Silk'), celui de Sakharine qui matérialise la malveillance du personnage ou encore celui sombre et mystérieux des parchemins de la Licorne ('The Secrets Of The Scroll' qui rappelle beaucoup le thème de la Chambre des Secrets dans le deuxième film Harry Potter).
La B.O. de Tintin est aussi riche en pistes anthologiques que ne l'est le film qui demeure, quoi qu'on en dise, un spectacle tout simplement hallucinant grâce à une mise en scène virtuose. Outre le soin apporté aux détails (les décors, les personnages), Steven Spielberg s'amuse comme un enfant avec sa caméra qu'il place à des angles qui auraient été complètement impossibles si le métrage avait été réalisé en live. La musique de John Williams concrétise cette liberté totale d'action qu'a eue le célèbre réalisateur, surtout dans les scènes mouvementées qui font l'objet de six pistes impressionnantes.
'Escape From The Karaboudjan' inaugure la première véritable scène d'action de l'histoire. Comme son nom l'indique, Tintin et Haddock tentent de fuir le cargo qui les gardait prisonniers. En à peine plus de trois minutes, John Williams rappelle pas moins de cinq fois le thème de Tintin (0:12 - 0:49 - 1:00 - 1:23 - 2:19) et fait monter la pression comme jamais à partir de 1:50 pour atteindre son apogée à partir de 2:02 avec un déchaînement orchestral réjouissant. De l'action purement 'williamsienne' qui se conclut avec un bref rappel du thème du méchant : les héros sont peut-être sortis d'affaire mais ce n'est que temporaire, la menace plane toujours...
Dans l'ordre chronologique du film (et non de l'album), c'est 'The Flight To Bagghar' qui vient ensuite et que l'on a déjà évoqué rapidement. Il s'agit d'un des moments phares du film, le voyage en hydravion, qui met en avant la dépendance totale du capitaine Haddock à l'alcool : changements brusques et imprévisibles de rythme, plusieurs rappels du thème de Haddock, personnage qui part littéralement en vrille dans cette scène, tandis que Tintin (dont le thème est rapidement évoqué à 1:12 quand il expose son plan) tente tant bien que mal de maintenir l'appareil en vol malgré les intempéries et les maladresses de son compagnon de route. John Williams oriente clairement sa musique vers la comédie-action pour un passage qui constitue à lui tout seul un pur hommage à l'humour 'hergéen'. Dommage toutefois que la version figurant sur l'album soit amputée de pas moins de deux minutes par rapport à celle que l'on entend effectivement dans le film, un reproche qu'il est d'ailleurs possible de faire à plusieurs pistes du CD. Ce n'est qu'un point de détail, certes, mais l'auteur de ces lignes tenait à le signaler pour la forme.
Autre grand moment important du film, l'abordage de la Licorne par les pirates menés par Rackham Le Rouge. L'affrontement se divise en deux parties qui font l'objet de deux pistes distincts : la septième ('Sir Francis and the Unicorn') et la neuvième ('Red Rackham's Curse and the Treasure'). Outre la virtuosité de la réalisation pour cette bataille navale, John Williams en profite pour développer le thème de la Licorne couplé aux exploits de François de Haddoque, l'illustre aïeul du capitaine. Le résultat ? De l'action héroïque pur jus non stop. Si le morceau 'Sir Francis and the Unicorn' prend une bonne minute à démarrer, c'est la glorieuse reprise du thème de la Licorne qui déclenche le début des hostilités. A partie de 2:14, c'est presque trois minutes de musique d'action ininterrompue ! Le spectateur (pour le film) et l'auditeur (pour la musique) ne reprendront pas leur souffle avant.
Et quand bien même, cela repart de plus belle avec 'Red Rackham's Curse and the Treasure', même si cette piste est entrecoupée de passages relativement plus paisibles car relatifs à la découverte du contenu de la cale de la Licorne. C'est surtout le passage à partir de 2:20 qui est intéressant ici, et qui fera d'ailleurs l'objet d'une reprise 'concert' (appréciable en écoute seule donc) pour la dernière piste du CD, 'The Adventures Continues', que l'on devine être une composante du générique de fin. John Williams illustre à merveille l'excitation de ce duel de cape et d'épée à l'ancienne, en même temps qu'à l'écran la caméra de Spielberg tourne autour des deux adversaires. Une nouvelle séquence mise en scène avec brio qui rappelle que le duo Spielberg/Williams est une valeur sûre en terme de divertissement grand public.
L'action est encore mise en avant avec 'The Pursuit Of The Falcon'. Sans aucun doute la scène la plus spectaculaire de tout le métrage : une course-poursuite en moto avec side-car, jouissive et déjantée (à défaut d'être réaliste). Plus que jamais la musique de John Williams a des relents d'Indiana Jones ('Desert Chase' et 'Scherzo for Motorcycle and Orchestra' en tête) et d'Harry Potter. Haletant, le morceau l'est assurément. Jouissif, il l'est également. A cela faut-il ajouter son caractère varié et surprenant. S'ouvrant sur une reprise accélérée de la chanson de la Castafiore (qui est la piste qui précède sur le CD, 'Presenting Bianca Castafiore', avec la chanson 'je veux vivre' interprétée par Renée Fleming, et qui réserve une petite surprise à la fin), l'orchestre s'emballe, oscillant entre les flûtes légères exprimant la grâce du faucon (la mascotte du méchant), les violons stressants (pour la situation dramatique) et les cuivres oppressants (pour le danger environnant) à partir de 1:17. L'humour n'est pas en reste, notre trio de héros (Tintin, Haddock et Milou) risquant absolument le tout pour le tout pour récupérer les trois parchemins dont s'est emparé le faucon du bad guy. Pendant que la moto que Tintin conduit se disloque lentement (le side-car se détache avec Milou dedans) Haddock tente tant bien que mal de rester dans la course malgré les embûches (un torrent commence à inonder les rues de la ville, un tank surgit de nulle part). Certes, il s'agit là d'une séquence d'action proprement hollywoodienne et irréaliste... Mais bon sang, qu'est-ce que c'est bon ! Réalisé intégralement en plan-séquence (même si les raccords sont aisément décelables), ce moment fait un sacré effet sur grand écran. Là est l'occasion pour John Williams de faire quelques rappels du thème de Tintin, brièvement à 2:24 et 5:14, et de façon beaucoup plus évidente et héroïque à 4:17 (LE moment de bravoure du film).
Enfin, dernière scène d'action, le spectaculaire duel de grues entre Haddock et Sakharine avec The Clash Of The Cranes (qui fait directement écho au 'Desert Chase' de Raiders Of The Lost Ark) et qui reprend de manière plus mécanique la thématique pirate du duel Haddoque/Rackham entendue dans 'Sir Francis and the Unicorn' et 'Red Rackham's Curse and the Treasure', entrecoupée de reprises des différents thèmes pour chaque personnage (Milou à 0:44 - Haddock à 2:31 - Tintin à 3:08 - Tintin, Milou et les Dupondt à 2:37).
Cependant, la B.O. de Tintin n'est pas constituée que de musiques d'action-aventure. John Williams distille de véritables ambiances diverses et variées, spécialement 'Marlinspike Hall' et 'The Secret of the Scrolls' avec leurs forts accents de thriller. Ou encore 'The Milanese Nightingale' qui fait très soirée mondaine des années 20 pour l'apparition de la Castafiore .
En conclusion, que retenir de tout ce qui vient d'être dit ? Une B.O. généreuse à l'image du long-métrage qu'elle accompagne. The adventures of Tintin : the secret of the Unicorn ne sort jamais vraiment des sentiers battus, et John Williams se complaît dans le style qui l'a rendu si populaire. Il en résulte une oeuvre certainement moins inoubliable que d'autres, mais cela n'enlève rien à la très grande qualité de l'ensemble et à la richesse des thèmes créés. Du John Williams classique comme on aime et qu'on redemande. Espérons son retour pour le futur Tintin 2 !
A noter l'existence d'un album promotionnel vraisemblablement destiné au jury des Oscars de 2012, The Adventures Of Tintin : For Your Consideration, et à l'occasion desquels la B.O. de Tintin avait été nominée (c'est finalement celle de The Artist, de Ludovic Bource qui l'a emporté). Ce CD contient dans les grandes lignes des pistes similaires à celles de celui qui est analysé ici, à l'exception qu'il s'agit bel et bien cette fois des musiques telles qu'entendues dans le film, et non les versions dites 'concert'. L'album For Your Consideration contient notamment les versions complètes de 'The Fight To Bagghar' et du 'End Credits' ainsi qu'une piste complètement inédite, 'Capturing The Plane' qui reprend pas moins de six fois le motif de Tintin.