Autant d'emblée être clair : cet album ne contient pas la piste 'Ave Maria' telle qu'entendue dans le menu du jeu. Un véritable comble quand on sait qu'elle est un peu la marque de fabrique de l'ambiance musicale du soft. Dans le même ordre d'idées, l'album ne contient pas non plus la chanson entendue pendant le générique de fin, à savoir le titre 'Tomorrow Never Dies' de Swan Lee, qui n'est pas à confondre avec la chanson de Sheryl Crow pour le film Demain Ne Meurt Jamais. Les deux n'ont en effet strictement rien à voir.
Alors, me direz-vous, qu'est-ce que la B.O. du jeu Hitman : Blood Money a à nous vendre si la splendide reprise du 'Ave Maria' de Schubert est aux abonnés absents ? Hé bien force est d'avouer que la musique composée par Jesper Kyd sort son épingle du jeu. Un petit rappel s'impose.
Jesper Kyd a composé la musique de la majorité des jeux Hitman. Le fait qu'il n'ait pas rempilé pour le cinquième épisode, Hitman : Absolution, sorti en 2012, a pu décevoir. Heureusement, il est toujours possible de se rabattre sur ses travaux précédents avec, en tête de liste, non seulement l'album Hitman : Silent Assassin (2002) mais surtout Hitman : Blood Money (2006). Celui qui nous intéresse ici. Peut-être la meilleure B.O. à ce jour de la saga vidéo-ludique. L'omission du 'Ave Maria' est cruelle mais le reste de l'album ne démérite pas, loin de là.
Il faut admettre que la musique de Jesper Kyd joue un rôle particulièrement efficace dans le jeu, que cela soit les phases in-game ou encore les cinématiques très soignées. Cela confère à l'ensemble un certain raffinement, une classe indéniable, à l'image du personnage que l'on incarne, à savoir l'agent 47, caractérisé par son costume sombre, sa chemise blanche, sa cravate rouge sang et le code-barres qui marque l'arrière de son crâne chauve (et dont la suite de chiffres se termine par 47, d'où ce nom).
L'agent 47 est une légende, une rumeur. Les bandes-annonces du jeu parlent même d'un murmure qui s'échappe des lèvres de ses victimes. Le tueur à gages parfait. Précis, méthodique, organisé, résistant. Rompu aux maniements des armes et aux techniques de combat au corps à corps. Le guerrier ultime.
Loin de moi l'idée de faire ici tout l'historique du personnage mais c'est pour restituer le contexte.
Hitman : Blood Money se découpe en plusieurs missions, reliées entre elles par un petit fil rouge (une histoire de clonage et un complot où sont impliqués de nombreux politiciens). Dans le cadre de ces missions, l'agent 47 aura le plus souvent à liquider une ou plusieurs cibles dans des environnements variés (opéra, clinique, banlieue, bateau, Maison Blanche). Le but est non seulement de parvenir à vos fins mais de faire en sorte que le crime soit parfait : pas de bruit, pas de bavure, pas de dommage collatéral.
Et les choses se corsent quand les passants, les policiers et les gardes du corps vous repèrent car, vous vous en doutez, le chemin qui mène à votre victime est loin d'être tout tracé. A vous de l'élaborer de la manière qui vous sied le plus parmi les nombreuses méthodes que les développeurs du jeu ont mis à votre disposition : armes à feu, arme blanche, outils de jardinage (!), bombe, poison, simulation d'accident ou de suicide, déguisement, etc.
Plus le crime est réussi, plus votre score (et vos revenus) augmentera en conséquence (pratique pour acheter de nouvelles armes). Bien sûr, libre à vous de vous munir d'un M16 et de dézinguer à tout va, mais c'est moins classe. Il y a plus de mérite à obtenir le rang d'assassin silencieux ou d'ombre que celui de bûcheron ou de simplet...!
Voici en gros le concept des épisodes d'Hitman. L'essence du jeu est quand même d'être le plus discret possible. De faire honneur à la réputation de l'agent 47 qualifié de véritable fantôme.
Et c'est dans cet esprit que Jesper Kyd a abordé la musique de cet épisode. Quelque chose de très fin, de très délicat, de très vaporeux. Après des B.O. très atmosphériques pour le premier et le troisième jeux et une très hollywoodienne pour l'épisode deux intitulé Silent Assassin (allez écouter la musique du menu et ses chœurs pour vous en convaincre !), Kyd conçoit la musique de Blood Money comme une passerelle entre ces deux orientations.
L'album s'ouvre avec 'Apocalypse' où les chœurs virils et menaçants font leur grand retour depuis leur introduction dans le menu de Hitman 2. Egalement dans la piste 'Action in Paris'. Et c'est aussi là que l'on voit le soin constant apporté dans la production des jeux vidéos récents. Certains softs bénéficient d'une réalisation équivalente voire supérieure à celle d'un véritable long-métrage (les cinématiques en sont une belle preuve), et la musique ne fait pas exception à la règle, surtout lorsqu'il s'agit de pistes très soignées.
Le 'Main Title' (la dernière piste de l'album) résume en trois minutes l'idée essentielle du CD : débutant par un piano délicat, la musique se fait plus martiale à partir de 0:38 à grands renforts de cuivres, de percussions et de chœurs discrets. Soulignons que cette composition a été utilisée dans une des bande-annonces du jeu dont l'auteur de ces lignes recommande vivement le visionnage pour mieux cerner l'ambiance et son rendu.
Aussi, il est impossible de passer à côté du solennel 'Funeral' qui rappelle à de nombreux égards le travail de Hans Zimmer accompli sur la B.O. du film Hannibal (2001) de Ridley Scott (les séquences à Florence). Une musique finalement très peu entendue dans le jeu en fin de compte mais qui apporte véritablement quelque chose au CD.
Notons à ce propos que la musique est loin d'être omniprésente dans Hitman : Blood Money. Outre les cinématiques et le menu rythmé au son du 'Ave Maria', la B.O. ne se déclenche véritablement qu'à certains moments précis au cours des missions ou encore en musique d'ambiance (lors de fêtes mondaines par exemple ; tel est le cas de 'Club Heaven' et ses lointaines et malsaines voix célestes, ou encore 'Vegas'). Une initiative louable afin de ne pas assourdir le joueur de musique tonitruante (Hitman, c'est avant toute chose une ambiance, une atmosphère) et lui faire d'autant plus apprécier une B.O. qui ne vient qu'accentuer les meilleures sensations du jeu : celle du travail accompli proprement ('Secret Invasion', 'Daylight in New Orleans') et celle de tension-suspicion ('Before The Storm', 'Hunter').
Saluons enfin les musiques 'd'action' qui se font entendre quand l'agent 47 est repéré ('47 attacks' dont le titre est éloquent, et 'Rocky Moutains'). Elles ont le mérite de ne pas être invasives et d'accentuer subtilement la complexité de la situation dans laquelle se trouve notre tueur préféré.
Vous l'aurez compris. La B.O. du jeu vidéo Hitman : Blood Money est de qualité. On ne répétera jamais assez l'absence injustifiée du 'Ave Maria' mais il y a largement de quoi se consoler avec cette musique digne des plus grosses productions hollywoodiennes du moment. Il est regrettable que Jesper Kyd ne soit pas revenu pour le récent Hitman : Absolution dont la B.O., sans être mauvaise, arrive difficilement à la cheville de la réussite de Blood Money.