Interview met Philippe Sarde

Stéphane Lerouge : Philippe, pourrais-tu nous raconter en quelques mots ce double itinéraire qui est le tiens c’est-à-dire cette double passion dévorante tant pour le cinéma que la musique pendant ton enfance.

Philippe Sarde : Durant celle-ci, la musique était évidente parce que ma mère était chanteuse à l’opéra et donc très tôt j’ai travaillé avec de bon compositeur et j’ai eu la chance de croiser le directeur de l’opéra qui était ‘Georges Auric’ et qui est mon parrain dans la musique. C’est un homme complètement fou au sens du terme ! Mais au fond de moi, la chose qui m’a toujours intrigué et passionné c’est le cinéma depuis l’âge de cinq ans. Mon père m’avait offert un petit projecteur 8 (il n’y avait pas encore de super 8 à ce moment-là) et je me rappelle qu’un de mes premiers films que j’ai acheté c’était ‘Fantômas’ de ‘Jean Sacha’. J’ai essayé de le sonoriser. Alors ce qui est formidable c’est qu’avec ‘Bertrand Tavernier’, lorsque je devais avoir 25, 26 ans, nous avons organisé une projection de tous les films de ‘Sacha’, en sa présence. Parce que nous faisions beaucoup de projections comme ça …

Stéphane Lerouge : Mais tu as dix ans, tu as le film en 8, en muet. Que fais-tu sur ce film ?
Philippe Sarde : J’essaye de comprendre ce qu’il y a dedans et puis j’essaye de faire de la musique.
Stéphane Lerouge : Au Piano ?

Philippe Sarde : Au piano. Parce que je me dis « comme elle ne sera jamais joué, autant que je l’entende » (rires).

Stéphane Lerouge : Et tu regardes chimiquement l’effet que fait le pouvoir de la musique sur l’image ?

Philippe Sarde : Ah oui ! Le pouvoir tout d’un coup de la musique change une scène. C’était bien parce que je pouvais déplacer des idées par rapport à ce type-là. Je pense que c’est ça qui m’a donné l’envie de ne jamais être une « peinturlure » du film.

Stéphane Lerouge : Est-ce que tu as eu une hésitation entre devenir metteur en scène, comme le cinéma te passionnais, et devenir compositeur ?

Philippe Sarde : Bah oui ! Bien sûr ! Le plus important c’est le film et on a envie de revoir cette catégorie d’expression et c’était aussi le point de mes études musicales, qui en tant que metteur en scène serait différent. J’ai compris qu’on pouvait être metteur en scène à travers la musique.

Stéphane Lerouge : C’est pour ça qu’il existe deux courts métrages que tu as réalisé et écrit la musique dont un s’appelle ‘Florence’. Tu m’avais dit un jour qu’après la projection de ce film et en fonction de la réaction du public tu allais choisir quelle serait ta discipline.

Philippe Sarde : Je me suis dit : Si les gens voient le film et sortent en disant « quelle belle image » je serai cinéaste. En revanche, s’ils s’exclament « quelle belle musique » … je serai compositeur.

Stéphane Lerouge : Nous sommes en 1969 et ‘Philippe’ a donc trois ans (rires). ‘Claude Sautet’ après un long parcours d’assistant cinéaste et metteur en scène, passé avec ‘Classe tout risques’ en 1960, puis ‘l’arme à gauche’, un film qui n’a pas bien marché, va revenir avec ‘Les choses de la vie’, le film avec lequel il trouvera sa voie, son ton et sera aussi le double départ, tant pour ‘Jean-Loup Dabadie’ comme scénariste et ‘Philippe Sarde’ comme compositeur.

Projection dans la salle de la scène de l’accident, tirée du film ‘Les choses de la vie’.

Stéphane Lerouge : Qu’est ce qui se passe lorsque tu te retrouves devant ‘Claude Sautet’ et lui à l’époque ? Il à déjà 45 ans et toi c’est ton premier long métrage, tu vois le film en projection à Épinay, qu’est-ce que tu lui dis ?

Philippe Sarde : Je lui dis : « Qu’est-ce que Romy Schneider est belle » (rires). Et lui me répond : « Bah ! » Et je vois des larmes dans ses yeux. Et … c’est ça la production. Et puis je lui dis « vous savez ce que je vous avais joué hier quand vous êtes venu chez moi. J’ai terminé ». Il me répond : « Oui ! Ça va ! Il y a pour moi une scène capitale, c’est l’accident. Vous enregistrez devant-moi, vous serez prêt ? » Je lui dis « Je pense ! » Et un mois et demi après j’étais devant 60 musiciens.

Stéphane Lerouge : ‘Sautet’ était passionné par ce qu’il appelait « La musique invisible », c’est-à-dire ce que le profane n’entend pas, comme cette séquence. Mais comment obtient-on par la matière de l’orchestre cette impression de dilatation du temps comme tu l’as obtenu ?

Philippe Sarde : Il ne faut pas trop regarder l’image, une fois suffit. J’ai la chance de pouvoir la visionner une fois, puis de l’oublier. Je chercher dans ma tête et j’essaye de lui donner son rythme profond et donc la musique devient tout d’un coup le chronomètre qui va dilater ou raccourcir la musique dans le film et lui donner son énergie.

Stéphane Lerouge : Tu penses que tu es le maître du temps dans un film ? Étirer une séquence ou donner l’impression de la raccourcir ?

Philippe Sarde : Je pense que si la musique est faite sans trop coller à l’image, on peut faire des miracles avec le temps dans un film. C’est une sorte de recréation de la séquence. C’est pourquoi je n’étais finalement pas si mécontent que les gens disent que la musique est belle et que c’est fichu en l’air pour moi comme metteur en scène (rires). C’est ainsi que je suis rentrer par la porte de service comme musicien.

Propos recueilli par FilmClassic

 



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