Intervista con Atli Örvarsson

DE STAR WARS À HANS ZIMMER

David-Emmanuel Thomas : Comment est né votre intérêt pour la musique de film ?

Atli Örvarsson : Quand j’étais adolescent, je suis tombé amoureux de la musique d’Ennio Morricone mais aussi de compositeurs de films polonais comme Wojciech Kilar ou Zbigniew Preisner. Quelques années plus tard, je suis allé étudier la musique au Berklee College of Music. Je pensais que j’allais peut-être devenir pianiste… Mais j’ai découvert qu’il y avait un programme en musique de film ! J’ai alors décidé de l’essayer. Ça m’a tellement plu que je m’y suis consacré entièrement ! Plus tard, j’ai réalisé que mon intérêt pour la musique de film était déjà présent dès l’enfance sans même l’avoir remarqué, pendant que je regardais Star Wars et que j’écoutais les musiques de John Williams. Je pense d’ailleurs que ma génération, qui a grandi avec ces films, a été émue et inspirée par ces musiques. Du moins ceux qui les aiment ! Sans oublier qu’au début de mon adolescence, j’ai commencé à jouer dans des orchestres de théâtre. J’ai ainsi pu combiner la musique à l’art dramatique. Tout cela a toujours fait partie de moi.

A l’aube des années 2000, Hans Zimmer vous a invité à rejoindre son studio Remote Control pour travailler à ses côtés. Comment avez-vous attiré son attention ?

L’histoire derrière tout ça, c’est que nous avons eu les mêmes agents ! Les temps ont changé maintenant, vous savez… Mais à l’époque – cela remonte peut-être à 2006 – l’un de nos agents en commun, Sam Schwartz [de The Gorfaine/Schwartz Agency, ndlr], m’a suggéré que je devrais peut-être rencontrer Hans. Il pensait que je pourrais m’intégrer au reste des Européens déjà basés à Remote Control. Il a donc organisé une rencontre. Ce fut le début de notre relation et de notre amitié !

Qu’avez-vous tiré de ses enseignements ?

J’ai tellement appris que je ne saurais pas par où commencer ! Hans n’est pas seulement un compositeur, c’est aussi un cinéaste brillant ! J’ai beaucoup appris sur la façon d’aborder un film et de le « lire ». En tant que musicien, il m’a montré comment réfléchir à l’écriture d’une musique avant même de se lancer dans l’écriture. « Pensez à ce que vous allez écrire et pourquoi ». Et surtout, il m’a enseigné que les idées ne doivent pas être surchargées par un excès de notes. Il suffit de repérer l’idée principale et de la comprendre. Quand on étudie la musique à l’école, on a parfois tendance à laisser notre cerveau se mettre en travers de ce que nous dicte notre cœur. On commence alors à être envahi de pensées et on ne remarque même pas que la meilleure idée que l’on puisse avoir est déjà apparue il y a des heures !

Orchestrer pour des succès musicaux comme Pirates des Caraïbes : Jusqu’au Bout du Monde (G. Verbinski, 2007) ou encore Anges & Démons (R. Howard, 2009) a également dû vous profiter. Réalisez-vous vous-mêmes les orchestrations de vos propres compositions pour le cinéma ?

Oui, je suis sûr qu’avoir travaillé avec Hans sur ce type de films a eu une certaine influence sur mon travail. J’ai pu l’observer mettre en œuvre ses procédés, utiliser son matériel et développer ses idées à partir de cet ensemble. Il est clair que j’ai été à bonne école ! Aujourd’hui, dans ma façon de travailler, je fais appel à divers orchestrateurs mais je dirais que 90 à 95 % des orchestrations sont déjà réalisées dans ma séquence. Il y a donc quelques changements qui se produisent lorsque l’on passe de la séquence au papier.

Vous partagez votre vie entre l’Islande et les États-Unis. Ce nomadisme influence-t-il votre inspiration ?

Je me trouve en Islande depuis la survenue de la pandémie de COVID-19 il y a maintenant un an et demi. Je n’ai pas fait beaucoup de va-et-vient depuis mais j’espère que ça reprendra bientôt… En vérité, mon studio islandais et celui de Los Angeles sont très similaires mais il y a quand même une grande différence : en Islande, j’ai une vue magnifique ! C’est ce que je trouve très inspirant ! Vivre entre le nord de l’Islande, dans une ville d’environ vingt mille habitants, et Los Angeles, qui en compte plusieurs millions, est un bon équilibre pour tirer une inspiration différente. J’aime vraiment être situé entre ces deux sortes de pôles opposés : d’un côté, le silence et la nature, et de l’autre, la civilisation, la culture et l’excitation.

Est-ce que votre approche musicale diffère en fonction de l’échelle du film ?

Mon rôle reste le même : raconter l’histoire et travailler avec le réalisateur pour enrichir sa vision qu’il a du film. Bien sûr, la musique sera très différente tout comme la quantité de musique à produire, etc. Mais en fin de compte, le rôle du compositeur de musique de film est plus ou moins le même.

Quid de l’interaction avec les musiciens ?

Qu’il s’agisse d’un grand film hollywoodien ou d’un petit film islandais comme Béliers, je travaille avec le même groupe de personnes qui m’entoure sur chacune de mes partitions. Je pense plutôt que la différence se situe dans la relation avec les cinéastes… Dans un petit film indépendant, vous devez uniquement interagir et échanger des idées avec le réalisateur – et peut-être un producteur aussi. Sur la scène hollywoodienne, il y a plusieurs chefs en cuisine ! Toutes ces personnes ont une influence sur ce que pourrait être la musique… Il y a généralement plus d’une seule voix créative qui s’exprime, contrairement aux film d’auteurs. C’est peut-être ça la plus grande différence.

L’AIGLE DE LA NEUVIÈME LÉGION : LE CHOC DES CULTURES MUSICALES

Dans L’Aigle de La Neuvième Légion, vous mélangez astucieusement des sonorités ethniques, notamment issues de votre propre culture islandaise, à d’autres, plus contemporaines et hollywoodiennes. Comment vous est venue l’idée de brasser et de confronter plusieurs cultures musicales ?

Tout simplement lorsque j’ai commencé à étudier la musique folklorique irlandaise et la culture irlandaise pour les besoins du film qui traite des selkies, le peuple du phoque. J’y ai trouvé un parallèle dans les histoires folkloriques irlandaises et islandaises sur ces gens, mi-phoques mi-humains, qui vont dans la mer. Même si leur musique est très différente – la musique islandaise est typiquement une sorte de longue mélodie par opposition à la musique irlandaise, très rapide et cinétique – je me suis rendu compte qu’il y a toujours eu une forte relation entre ces cultures. J’ai alors supposé qu’à cette époque, il était très probable qu’il y ait eu des mouvements entre ces peuples, entre ce qui délimite l’Islande et l’Irlande d’aujourd’hui. Et, puisque personne ne sait à quoi ressemblait la musique à l’époque, je pouvais me contenter de dire qu’il est tout aussi probable qu’elle ait pu ressembler aussi bien à de la musique islandaise qu’à de la musique irlandaise !

Ce type d’approche audacieuse aurait très bien pu se prêter à d’autres univers filmique comme Hansel & Gretel : Witch Hunters ou The Mortal Instruments : La Cité des Ténèbres (H. Zwart, 2013) par exemple. S’agit-il d’une volonté de ne pas vous répéter musicalement ? Ou bien êtes-vous tout simplement confronté à une réticence face à de telles expérimentations de la part des réalisateurs avec qui vous travaillez ?

J’ai utilisé des voix et un chanteur norvégiens sur Hansel & Gretel : Witch Hunters tout simplement parce que je travaillais avec un réalisateur norvégien ! Sans oublier ma sœur qui me suit partout dans ma carrière : on la retrouve sur Babylon A.D. ou encore Hansel & Gretel. Dans Béliers, nous avons carrément utilisé des mots islandais dans le score ! Pour tout vous dire, je pense que ça doit correspondre au film. Il y a à la fois cette idée de ne pas se répéter tout le temps, de proposer de nouvelles choses mais il faut aussi que ce soit culturellement et stylistiquement cohérent avec le film que nous faisons, avec ce dont il a besoin. En ce moment, je travaille sur une série télévisée française pour enfants intitulée Rooms, qui se déroule en Normandie vers l’an mille, où j’utilise pas mal de sonorités islandaises, irlandaises et celtiques. Je revisite donc le style de ce que j’ai pu faire il y a dix ans. J’ai l’occasion de jouer avec les mêmes idées musicales, les mêmes instruments tout en espérant qu’il y ait un peu de réinvention.

Vous avez dit que L’Aigle de La Neuvième Légion avait changé votre façon de travailler…

Ça m’a ouvert les yeux de bien des façons, oui ! Déjà, je pense que ça m’a rendu moins maniaque. Dans ce film, Kevin McDonald, le réalisateur, m’a encouragé à aller travailler avec des musiciens sur le terrain alors qu’un compositeur a plutôt l’habitude de développer ses thèmes d’emblée, ses orchestrations, etc. D’une certaine manière, c’était presque comme créer une partition pour un documentaire parce que je suis parti rencontrer des gens qui font de la musique écossaise et irlandaise ancienne. Au lieu d’écrire des quantités de mélodies à n’en plus finir, j’ai commencé par écouter leur travail. J’ai ensuite réalisé un collage à partir d’idées de sonorités anciennes pour les incorporer dans ma musique plutôt que d’imposer ma musique à leur culture. J’y ai gagné à être plus ouvert aux idées extérieures. Et bien entendu, j’ai aussi beaucoup appris en étudiant toute cette musique celtique mais aussi islandaise.

HITMAN & BODYGUARD : AU CARREFOUR DU ROCK, DU JAZZ ET DU BLUES

Avant d’étudier la musique de film, vous étiez membre d’un groupe de rock islandais, Sálin hans Jóns míns. Considérez-vous les partitions de Hitman & Bodyguard et sa suite comme un retour aux sources nostalgique ?

Complètement ! D’ailleurs, je pense que l’une des raisons pour laquelle le réalisateur Patrick Hughes a souhaité travailler avec moi est liée à mes racines jazzy / blues / rock, à tout ce que j’ai pu faire dans mon passé. D’une certaine manière, ce qui est nostalgique, c’est de retourner à une forme d’écriture inspirée des lignes de cuivre pop ou soul et de travailler avec certains membres de mon ancien groupe. Le plus important, c’est que ça corresponde au film, encore une fois. Lors de ma première rencontre avec Patrick, nous nous sommes assis pendant quatre heures, nous avons bu du vin rouge… Et écouté du blues ! Nous nous sommes donc entendus sur l’idée de rendre la partition moins classique et électronique mais davantage rock ‘n’roll et « bluesy ». J’ai la chance d’avoir joué beaucoup de genres musicaux différents comme la musique classique, la trompette dans un orchestre de théâtre, des claviers, du rock ‘n’roll, du jazz, etc. Mon parcours est donc très large. De temps en temps, j’apprécie de pouvoir revenir à ce qui appartient assurément à mon héritage musical !

Dans quelle mesure diriez-vous que l’emploi d’instruments rock, comme la batterie ou la guitare électrique, reflète-t-il parfaitement le côté « badass » de films comme Hitman & Bodyguard ?

Je pense qu’il y a un peu de stéréotypes dans tout ça ! Si l’on en revient au premier film, la guitare électrique est associée au tueur à gages Kincaid [interprété par Samuel L. Jackson, ndlr]. C’est un « black » qui chante une sorte de chanson « jazzy blues ». Il devait ainsi y avoir une connexion au blues, en lien avec ses racines. Mais lorsqu’il se montre plus « badass », nous avons ressenti qu’il fallait utiliser une guitare électrique plutôt qu’un son de synthétiseur déformé.

Sur Stuart Little 3, en Route pour l’Aventure (A. Paden, 2005), vous succédiez à Alan Silvestri. On peut donc considérer que Hitman & Bodyguard 2 est véritablement votre tout premier sequel au cinéma. En quoi la continuité musicale est-elle essentielle ?

Nous avons pris la décision consciente de réutiliser certains thèmes du premier film mais certaines séquences ont nécessité de nouveaux thèmes. C’est 50-50 ! Il y a des vieilles idées qui ont été réinventées et d’autres, entièrement nouvelles. C’était très amusant parce que j’ai pu remanier les choses qui ont fonctionné dans le film précédent. J’ai essayé une nouvelle façon de les travailler. C’est aussi une bonne chose qu’il y ait eu trois ans d’intervalle entre les deux films. Je n’étais plus exténué alors je pouvais m’y atteler avec un esprit neuf, ce qui fut très agréable. Pour en revenir à la musique du film, celle-ci est un peu différente, plus orchestrale. Les deux films sont différents eux-aussi, il y a plus de choses. Ce n’est pas juste Ryan Reynolds et Samuel L. Jackson qui se chamaillent quelque part dans un champ en Écosse ! La portée du film est un peu plus grande. La partition devait donc refléter ça grâce à de nombreux éléments orchestraux.

Un score plus orchestral, oui, mais surtout plus omniprésent…

Effectivement, il y avait beaucoup plus de chansons dans le premier film ! Patrick les avait sélectionnées et il tenait absolument à les utiliser. Sur ce coup-ci, il a décidé que la musique devait dépendre du score.

Quels sont vos autres projets ?

J’ai quelques projets sur lesquels je travaille. Des projets en Islande, d’autres aux États-Unis… Dans les deux cas, je ne peux pas vraiment en parler parce que ça n’a pas encore été annoncé. Il y a aussi beaucoup de choses intéressantes à venir comme Wolka, un film islandais prévu pour cet automne et un documentaire centré sur Donald Trump et sa famille – vous verrez, il est très intéressant aussi. En clair, j’ai du pain sur la planche !

Remerciements: Adrianna Perez, Kyrie Hood et, bien entendu, Atli Orvarsson pour sa gentillesse extrême et sa disponibilité.

*Cette interview a été réalisée par Zoom le 28/06/2021 et publiée sur Gone Hollywood (mais elle est bien de moi ;-)

(Crédit photo: Alex Soutré)

 



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