The Shape of Water
Guillermo del Toro’s The Shape of Water

UNE MUSIQUE TRÈS EAU-RIGINALE

En 2014, Alexandre Desplat réalisait sa première incursion dans le film de monstre avec Godzilla de Gareth Edwards ; accouchant d’un thème martial trépidant qui rendait clairement hommage aux compositions magistrales de John Williams pour Les Dents de la Mer ou Jurassic Park. Avec La Forme de l’Eau, réalisé par Guillermo Del Toro, le français oscarisé se refuse toutefois à composer avec les codes du film de monstre. « Je pense que c’est un conte de fées, que c’est une fable. C’est vraiment une histoire d’amour ! » confiait -il lors de ses nombreuses interviews. Sa construction musicale s’axe donc autour de cet aspect féérique et passionnel mais repose avant tout sur la texture de l’eau. Les mélodies et les textures instrumentales tentent de nous emmener dans l’eau pour une « sensation aquatique » donnant l’impression que la musique « flotte dans le film ». Tel est le défi lancé par Alexandre Desplat ! Tout au long de sa partition, le compositeur cherche à jouer sur l’inconscient collectif en « créant des motifs ayant la forme de l’eau ainsi qu’une orchestration qui s’en rapproche ». Cela se manifeste notamment par l’utilisation d’arpèges ; « des notes sautant des intervalles faisant comme des vagues ». Alexandre Desplat a bénéficié d’une grande liberté créative et du soutien du réalisateur qui a estimé qu’il s’agissait de sa meilleure collaboration musicale !

Sa partition s’articule autour d’un grand thème majeur à 3 temps (‘Elisa’s Theme’) décliné tout au long de l’album et subissant diverses variations instrumentales : un ensemble de 12 flûtes hypnotiques (‘Elisa’s Theme’), un piano délicat (‘Egg’), un accordéon mélancolique (‘Overflow of Love’), un violon solo abattu (‘Underwater Kiss’) ou encore un grand orchestre (‘Watching Ruth‘). Pour donner un son à la voix du personnage muet interprété par Sally Hawkins, Alexandre Desplat et Guillermo Del Toro décident d’utiliser un sifflement « puisque l’héroïne siffle dans le film » (‘Elisa and Zelda’, ‘The Silence of Love’, ‘Watching Ruth’). L’utilisation d’un sifflet était très courante dans les musiques de films des années 50-60. On ne peut s’empêcher de penser au Twisted Nerve de Bernard Hermann (Desplat avoue s’en être inspiré). Le thème d’Elisa brille par son lyrisme et sa douceur mais reste toutefois en retenue dans le film. Probablement la plus belle pièce de l’album !

Le ‘Elisa’s Theme’ officie bien évidemment en tant que thème principal associé au personnage mais peut être également rattaché au love theme du fait de ses apparitions dans le long-métrage. On remarque qu’il accompagne les scènes de romance entre la créature et Elisa : ‘Underwater Kiss’, ‘Overflow of Love’, ‘Without You’ ou encore ‘A Princess Without A Voice’. Néanmoins, il est souvent rattaché à un motif joué par un bandonéon parfois déroutant, comme si ces deux thèmes étaient étroitement liés… (ils viennent s’imbriquer à la perfection dans ‘Underwater Kiss’, ‘Overflow of Love’ ou encore ‘A Princess Without A Voice’). S’il laisse présager un thème mystérieux joué par des cordes graves pour l’amphibien dans ‘The Creature’, on s’aperçoit très vite que le bandonéon argentin lui est pleinement associé, symbolisant par la même occasion les origines de la créature.

Pas besoin de commencer par écouter ces autres morceaux, le main titles (‘The Shape of Water’) annonce clairement la couleur du film et la tonalité musicale en injectant un brin d’étrangeté : « L’âme du film se détermine dès le début … et la musique annonce d’emblée au spectateur que l’histoire sera chaleureuse, un peu fragile, un peu mélancolique » dévoilait le compositeur. Néanmoins, lorsque le film l’exige, sa partition s’accélère (le trépidant ‘The Escape’), prenant même des allures héroïques (l’envolée orchestrale de ‘Rainy Day’). Elle se teinte de morceaux plus sombres et menaçants (‘The Creature’, ‘Fingers’, ‘Decency’ ou encore ‘He’s Coming For You’) mais laisse la part belle aux passages plus enjoués et tendres (‘The Shape of Water’, ‘Overflow of Love’).

EN BREF : Alexandre Desplat réussit une fois de plus son exercice de style pour ce conte fantastico-romantique fabuleux et casse les codes du film de monstre. Pour créer « une sensation aquatique » chez le spectateur et le plonger dans l’imagerie de Guillermo Del Toro, le compositeur français développe des mélodies ondulantes rappelant la texture de l’eau. Mais la fantaisie de sa partition s’exprime aussi à travers l’instrumentation : les flûtes hypnotiques et le bandonéon singulier viennent pimper ce score sentimental et lyrique, particulièrement abouti. Bien que l’orchestre exprime une certaine retenue, sa musique fait jaillir de plus belle les émotions des personnages à l’écran et s’affirme comme l’une des bandes-originales les plus inspirées de cette année 2018. Grâce à elle, Desplat aura raflé un lot de récompenses prestigieuses avec un BAFTA, un Golden Globe et un Oscar !