All About Eve / Leave Her to Heaven

En 1949, le réalisateur Joseph Mankiewicz tomba par hasard sur un article publié dans le numéro de mai 1946 de Cosmopolitan qui s’intitulait ‘The Wisdom of Eve’ de l'actrice Mary Orr. Intéressé, il contacta Darryl Zanuck, directeur du studio 20th Century Fox, qui se montra réceptif et lui donna un budget généreux de 1,4 million de dollars. Mankiewicz devait non seulement réaliser, mais aussi écrire le scénario, qui fut considérablement remanié pour intégrer les nombreuses suggestions d'amélioration proposées par Zanuck. Le casting pour le rôle principal fut également difficile.
On lui proposa Susan Hayward, Marlene Dietrich, Gertrude Lawrence et Claudette Colbert furent toutes envisagées avant que Mankiewicz ne choisisse finalement Bette Davis pour le role de Margo Channing.
Elle sera rejointe par Anne Baxter dans celui d'Eve Harington, Gary Merrill dans pour Bill Sampson, George Sanders dans celui d'Addison DeWitt, Celeste Holm dans celui de Karen Richards et Hugh Marlowe dans celui de Lloyd Richards.

L'histoire concerne la star vieillissante de Broadway, Margo Channing, qui se demande si ses meilleurs jours sont derrière elle.
Une aspirante actrice, Eve Harrington, qui se fait passer pour une admiratrice, se glisse habilement dans le cercle intime de Margo, au point de devenir sa secrétaire personnelle. Manipulatrice, elle utilise Margo et ses amis comme de simples outils pour faire avancer sa carrière …

Le film a été un énorme succès commercial, rapportant à la 20th Century Fox 8,4 millions de dollars, soit plus de six fois son coût de production. Il a reçu de nombreuses critiques positives, a relancé la carrière de Bette Davis et a obtenu le nombre stupéfiant de quatorze nominations aux Academy Awards, dont une pour la meilleure musique de film.
De plus, All About Eve a été sélectionné par la Bibliothèque du Congrès des États-Unis comme l'un des 50 premiers films jugés dignes d'être conservé, et en 1998, il a été classé 16e sur la liste des 100 plus grands films de l'American Film Institute.

Mankiewicz avait apprécié chacune de ses trois précédentes collaborations avec Alfred Newman (1), et il était le choix naturel pour ce projet. Newman a compris qu'il s'agissait d'un drame axé sur le dialogue entre les personnages, comprenant de puissants moteurs émotionnels apparents et bien souvent cachés. Pour soutenir son paysage sonore, il a composé cinq thèmes : Le thème du théâtre est celui qui soutient le point central de la narration du film. Newman l’adapte suivant les scènes : dynamique émotionnelle, en fanfare, vibrant et festif.

Le thème d'Eve est peut-être le plus beau de la partition. Le phrasé répétitif de cinq notes du violon, agrémenté de bois, est exquis. Cependant, il évoque sa personnalité, le visage qu'elle présente au monde, et non la femme impitoyable et sans scrupules qu’elle cache.

Le thème de Margo lui sert d'identité, bien que, contrairement au thème d'Eve, il soit franc et authentique. Les bois gentils et les cordes douces délicates se déploient avec une tendre beauté. Parfois, les cordes reprennent la mélodie et les bois l'accompagnent doucement.

Le thème de Karen est empreint d'une teinte de tristesse intangible et omniprésente. Dans le film, nous constatons que cette tristesse s'accentue au fur et à mesure qu'Eve fait du chantage et manque de briser son mariage avec Lloyd. Le hautbois ou la flûte portent la mélodie, accompagnés de cordes douces et gentilles.

Enfin, nous avons le thème de Phoebe, qui est dérivé et apparenté au thème d'Eve, amputé d'une note. Il est porté par des cordes et émet les mêmes sensibilités que le thème d'Eve, ce qui n'est pas surprenant puisqu'elle convoite ce qu'Eve est.

La composition d’Alfred Newman pour All About Eve n’a jamais été édité lors de la sortie du film. Il faudra attendre un demi siècle (1999) pour que le label Film Score Monthly (FSM) édite un CD comprenant 26 séquences (jumelé avec Leave Her to Heaven).
Newman a compris que sa musique devait parler aux nombreuses émotions qui se déroulent à l'écran, sans être intrusive et distraire le dialogue. Scène après scène, Il a atteint une confluence parfaite qui a permis à Mankiewicz de réaliser sa vision.
Cette partition est un chef-d'œuvre de l'âge d'or hollywoodien et c'est l'une des raisons pour lesquelles je recommande cet album malgré son son monaural.

(1) Il s’agissait des films suivant : Dragonwyck (1946), A Letter to Three Wives (1949) et Now Way Out (1950).

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