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L'ÂGE D'OR DE LA MUSIQUE DE FILM EN FRANCE

Ajouté le Jeudi, 24 Mars, 2016   Posté par Arvid Fossen

L'ÂGE D'OR DE LA MUSIQUE DE FILM EN FRANCE

Un quart de siècle de musique de cinéma, en quelques moments essentiels. Dans cette mystérieuse coopération de l’œil et de l’oreille qui est la loi poétique de la musique de cinéma, l’image et le son ne sauraient vivre séparés. Aussi bien la musique n’a-t-elle ici de raison d’être que comme une dimension spirituelle de l’image. C’est une musique qui « donne à voir » autant qu’à entendre. Parce qu’elle est « vivante ».

L’ÂGE D’OR DE LA MUSIQUE DE FILM EN FRANCE
Par Jean Roy
À trois ans près (l’espace est de vingt-huit années exactement entre les « Actualités » de Darius Milhaud et le « Ballon Rouge » de Maurice Le Roux) voici un quart de siècle de musique de cinéma. Nous avons voulu que les commentaires parlés fussent aussi brefs que possible. Toutefois, ils s’imposaient. Dans cette mystérieuse coopération de l’œil et de l’oreille qui est la loi poétique de la musique de cinéma (toute différente des conventions stylistiques du Ballet et de l’Opéra) l’image et le son ne sauraient vivre séparés. Aussi bien la musique n’a-t-elle ici de raison d’être que comme une dimension spirituelle de l’image. Non comme un commentaire surajouté. Une « musique vivante » ainsi que l’écrivait Jacques Prévert en tête de son hommage à Maurice Jaubert, réfutant avec chaleur le lieu commun imbécile selon lequel la meilleure musique de cinéma serait « celle qui ne s’entend pas », car, ajoutait-il, celle de Jaubert « on l’entend toujours qui inlassablement et implacablement accompagne les images sur l’écran, et les images séduites par cette musique si belle et si fidèle l’accompagnent à leur tour, comme ces amis incomparables qui s’accompagnent encore et se réaccompagnent dans la nuit, s’accompagnent à n’en plus finir. » Cet hommage dédié à l’un des pionniers de la musique de cinéma, à l’un de ceux qui resteront comme un exemple admirable pour tous les musiciens à venir, il nous a semblé qu’il pouvait définir en quelque sorte la charte du musicien de film. Il arrivera que le film naisse d’un prétexte musical comme ce fut le cas pour « Les Portes de la Nuit », il arrivera même que la musique se pose, intemporelle, comme une expérience en soi, telles les « Actualités » de Darius Milhaud : mais dans l’un et l’autre cas le langage direct, elliptique, obéit aux mêmes lois d’efficacité, de rapidité, de synchronisation entre le geste et le son : le profane, le non-musicien peut écouter sans crainte. Cela s’adresse à lui. Cela n’est pas pour les initiés. C’est une musique qui « donne à voir » autant qu’à entendre. Parce qu’elle est « vivant ».

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Maurice Jaubert (1900-1940) a composé la musique d’une vingtaine de films et d’autant de court-métrages. Il a collaboré avec Jean Vigo, René Clair, Marcel Carné, Julien Duvivier, Jean Painlevé. Rien de ce qui appartenait au cinéma ne lui était étranger. Dans « Quatorze Juillet » de René Clair (1933), « Quai des Brumes » de Marcel Carné (1938) et l’ »Atalante » de Jean Vigo (1934) nous trouverons l’essentiel de son message de musicien de cinéma qui est, en même temps qu’honnêteté et humilité d’artisan, vérité humaine et poétique. Quant à Georges Auric il serait bien embarrassé s’il lui fallait dresser la liste des films pour lesquels il a composé une partition. Quarante, cinquante ? Il ne sait plus. Mais ce qu’il n’ignore pas, à coup sûr, ce sont ses affinités avec Clouzot, avec Dassin, avec René Clément, et surtout – primordialement – avec Jean Cocteau. Tous les films de Cocteau – du « Sans d’un Poète » à « Orphée » (1955) – s’accompagnent d’une musique de Georges Auric, et, en écoutant le fragment d’ « Orphée » que nous présentons ici on comprendra qu’il ne s’agit pas seulement d’une musique de circonstance ou d’illustration mais d’une œuvre qui est aussi totalement de George Auric que les plus importantes de ses pages symphoniques telles que « Phèdre » ou « Le Chemin de Lumière ».
Maurice Jarre a fait ses preuves au théâtre. Le cinéma ne lui a jusqu’ici confié que des court-métrages. On se demande bien pourquoi. Car la musique d’ »Hôtel des Invalides » (documentaire de Franju) et celle de « L’Univers d’Utrillo » sur le film de Georges Régnier (1955) nous font découvrir en ce domaine un talent d’une rare personnalité. Pas plus que sa musique de scène ne se sépare de l’action dramatique la musique que Maurice Jarre compose pour l’écran ne se dissocie de l’image, mais elle la creuse, l’approfondit, la projette dans un univers insolite.

Maurice Le Roux possède musicalement une double personnalité. IL y a d’un côté le disciple de Webern, qui écrit une musique extrêmement raffinée et savante, de l’autre le musicien de ballet, d’histoires pour enfants, et de films. Et le second, si l’on peut dire, fournit la preuve du premier. N’est pas simple qui veut, ne touche pas la foule qui veut : puisque Maurice Le Roux pénètre avec cette facilité déconcertante dans l’univers enfantin du « Ballon Rouge » d’Albert Lamorisse (1956) c’est tout simplement qu’il est un musicien de race et que rien de ce qu’il compose ne saurait nous laisser indifférent.
Joseph Kosma a pour lui un avantage incontestable : s’il est musicien de chansons c’est que le don mélodique lui a été départi avec une générosité peu commune et que d’autre part il détient mieux que personne le pouvoir de « créer un climat ». Ce pouvoir, inclus dans un ballet de Jacques Prévert, « Le Rendez-vous », créé par Roland Petit, s’est projeté sur le film de Carné : « Les Portes de la Nuit » (1946) rassemblant les sortilèges et maléfices d’un certain romantisme qui est, qu’on l’accepte ou non, celui de notre après-guerre.
Ce n’était point une tâche aisée que de composer une musique pour le « Farrebique » de Georges Rouquier (1946) où les quatre saisons s’enroulent avec lenteur autour d’une ferme du Rouergue. Nul drame, nul pittoresque. Simplement la terre, le ciel, les arbres, les animaux et les hommes. Il fallait un musicien-poète, discret autant que persuasif. Sans renoncer un seul instant à ce qui caractérise sa personnalité créatrice, Henri Sauguet nous conduit en ce voyage qu’on dirait immobile.
Les « Actualités » de Darius Milhaud (1928), petite suite d’orchestre pour treize instruments, présentent un caractère expérimental : il s’agissait pour le musicien, qui se trouvait alors en compagnie de Paul Hindemith, au Festival de Baden-Baden, d’essayer un appareil de synchronisation inventé par un ingénieur allemand. Les actualités de la semaine précédente servirent de prétexte, et la partition fut écrite dans un délai extrêmement court. Tout Milhaud est là avec son humour, son sens de la vie, et cette musique de circonstance est par surcroît une excellente musique de cinéma.

Jean ROY

 



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